Jardins suspendus de Singapour

J’ai découvert Singapour lors d’un séjour de douze jours fin janvier / début février 2024. La cité-État de six millions d’habitants située sous climat tropical humide en Asie du Sud-Est mérite sa réputation : « la métropole la plus verte au monde et le laboratoire de la ville de demain ».

Ce n’est pas un hasard. Dès son indépendance dans les années 60, elle s’est voulue cité jardin (« garden city »). En 2020, après plus de cinquante ans d’application de ce concept au cours d’un développement qui a vu son nombre d’habitants tripler, elle l’a fait évoluer. Elle œuvre maintenant à devenir une « cité dans la nature » (« City in Nature »).

Les chapitres ci-après explorent partiellement les sujets suivants : travail conjoint des autorités publiques, des promoteurs immobiliers et des associations pour créer des espaces nourriciers, et éducation.

Remarque : les liens en italique redirigent vers des pages en anglais, les autres vers des illustrations ou des pages en français.

Jardins nourriciers suspendus

Les 10 et 11 février 2024, j’ai visité deux jardins dans Downtown Corele quartier du centre-ville décrit comme le cœur économique et culturel de Singapour par l’Urban Redevelopment Authority (URA), l’autorité publique en charge du développement et de la conservation des espaces naturels et urbains. Ils m’avaient été conseillés par une association dont je n’ai hélas pas pu rencontrer les responsables, en congés en cette semaine du nouvel an chinois, Edible Garden City, une entreprise sociale qui promeut l’autoproduction alimentaire et les fermes urbaines.

A mon retour d’Asie, j’ai partagé mon expérience avec deux de mes étudiants de MBA à Londres. E. avait travaillé sur un projet de création d’une petite unité de production de champignons dans la capitale britannique et J. est originaire de Hong-Kong, une autre cité dynamique d’Asie. Je leur ai ensuite fait parvenir quelques informations pour illustrer mes propos. Voici mon email du 21 février 2024, traduit en français :

“Bonjour J. et E.,

Ravi de vous avoir rencontrés jeudi. Voici les deux jardins sur les toits que j’ai visités à Singapour ce mois-ci. Edible Garden City, une entreprise sociale qui a contribué à leur création, m’a conseillé de m’y rendre car ils sont ouverts au public.

 Ferme urbaine de Funan : 

A droite, on peut voir des bananiers. Le jardin est situé au sommet d’un centre commercial
dans le centre de Singapour. Photo 10 février 2024.
Certains fruits, comme le citron vert, peuvent être cueillis en hiver.
Le jardin produit des fruits, des légumes et des herbes aromatiques.
Il est également utilisé par une école primaire.

La “forêt nourricière” du 1-Arden :

Au sommet d’un immeuble de 280 mètres achevé en 2022, un jardin de 900 mètres carrés approvisionne les trois restaurants de la tour avec 80 kg de nourriture par mois, principalement des légumes verts feuillus et des herbes aromatiques spécifiques à leur cuisine, comme le wasabi pour le restaurant japonais et la myrte citronnée pour le restaurant australien. On y trouve des arbres fruitiers dont la fonction est essentiellement ornementale, pour le plaisir des yeux du public et des clients qui visitent le jardin.
Photo 11 février 2024 vers 19 heures.  
Un podcast intéressant de 25 minutes sur cette initiative, dans lequel le jardinier en chef aborde les défis rencontrés et la manière dont ils ont été relevés (en anglais) :
https://rootsandall.co.uk/podcast/sky-gardening/

Cordialement,

Jean-Jacques

On cultive plus de 150 plantes comestibles, fleurs et arbres fruitiers dans le jardin suspendu du 1-Arden au sommet de l’immeuble CapitaSpring. Perché à 280 mètres au-dessus du sol, il était lors de sa création en 2022, et est peut-être toujours, le « jardin nourricier le plus haut au monde ». La meilleure façon de le découvrir est de regarder cette vidéo de 10 minutes réalisée dix mois après l’ouverture, qui contient de superbes vues du ciel. Le chef jardinier nous y fait faire le tour des plantes et de leur utilisation.  

Je recommande également d’écouter le podcast dont le lien figure dans le commentaire de la photo ci-dessus. On comprend mieux les tenants et les aboutissants de ce remarquable projet, ses limites et les améliorations possibles. On y parle par exemple de la qualité des sols. On m’avait déjà dit sur place que la terre utilisée était initialement inerte, provenant de l’excavation des fondations du gratte-ciel. On l’a enrichie pour la rendre vivante et créer un écosystème équilibré. Il aurait été plus judicieux d’utiliser d’emblée un sol déjà préparé, à condition bien sûr de trouver un fournisseur adéquat. C’est sans doute un élément déjà considéré par les promoteurs de telles innovations pour leur projets futurs.

Le 1-Arden est un exemple intéressant d’innovation pour les jardins nourriciers. C’est aussi un exemple d’application des règles d’urbanisme de Singapour en matière d’espaces verts. Elles sont définies pour chaque type d’habitat, par exemple le quartier d’affaires et commerçant où se trouvent la ferme urbaine de Funan et le 1-Arden. Je dirais que ces règles peuvent se résumer essentiellement à ceci : tout nouveau projet immobilier doit s’assurer d’un minimum de densité de verdure sur le site de construction ou de reconstruction, mesurée objectivement grâce à un indicateur appelé le Green Plot Ratio (cliquer sur Landscaping for Urban Spaces and High-Rises (LUSH) puis sur Landscape Replacement Areas (LRA) Guidelines in Strategic Areas pour en voir la définition). Voici le résultat de l’application de ces règles dans le projet CapitaSpring du promoteur immobilier CapitaLand et de ses partenaires, dont l’agence Bjarke Ingels Group (BIG). On voit pourquoi il y a du vert partout à Singapour y compris dans les zones les plus densément construites, que ce soit au pied des immeubles, sur les murs, dans les étages ou sur les toits. 

Quant au jardin situé sur le toit du centre commercial de Funan, aux autres sites exploités par Edible Garden City et aux autres jardins nourriciers de la ville, il y aurait beaucoup à dire. Voici quelques photos.

1-Arden : le jardin situé en haut de la tour CapitaSpring est ouvert au public. Il ferme parfois pour cause d’orage, fréquents à Singapour, comme dans l’après-midi du 11 février 2024. Nous patientons au bar à côté du jardin en attendant le retour complet du beau temps pour le visiter.
1-Arden : les cinq jardins (Tropical Wellness, Singapore Food Heritage, Japanese Potager, Mediterranean Potager and Australian Native) sont partiellement protégés des intempéries par les parois ajourées qui entourent le site. La température plus fraîche qu’au sol et la brise marine permettent à certaines plantes méditerranéennes comme le romarin de s’épanouir pleinement sans attaques de champignons. Les potirons, « qui ne pollinisent pas très bien sous les tropiques », sont pollinisés à la main en l’absence de l’insecte habituel qui ne monte pas jusque-là. Voir la vidéo de 10 minutes pour plus de détails. Photo 11 février 2024.
1-Arden : à cette hauteur, avec la brise et le vent qui peut être violent, les feuilles de bananier se déchirent. Cela dit, tout pousse très vite en zone tropicale humide : elles se renouvellent rapidement. On voit également le système d’arrosage au goutte à goutte : pratiquée dans tous les jardins de Singapour que j’ai visités, l’irrigation est d’autant plus nécessaire ici compte tenu de l’exposition au soleil et au vent.
1-Arden : la végétation devient peu à peu luxuriante. Le jardin, déjà beau, promet d’être magnifique dans quelques années. Ici un papayer.
1-Arden : une application sans doute développée et maintenue par Edible Garden City permet aux restaurants de s’approvisionner dans les autres jardins du réseau. C’est un système vertueux : plus il y aura de lieux de production, plus les chefs seront assurés d’avoir des produits non traités fraîchement cueillis garantissant le meilleur du goût et de l’aspect de leurs compositions culinaires. 
Les jardins nourriciers suspendus sont moins nombreux que ceux sur la terre ferme. Il y a les fermes urbaines d’Edible Garden City, et divers types de jardins nourriciers communautaires. Ici le jardin partagé de HortPark où chacun loue son box. Photo 4 février 2024.
Funan : en plein cœur du centre-ville, le grand jardin suspendu est à peine visible de la rue. Par contre on voit la végétation au sol, dans les étages et un mur végétal. Photo 10 février 2024.
Funan : dans tous les jardins nourriciers que j’ai visités, les légumes verts feuillus et les plantes aromatiques et médicinales sont en vedette. Ils apportent une production régulière de produits non traités riches en nutriments. Ici des épinards de Malabar, connus pour leur croissance rapide et leur capacité à repousser sans discontinuer.
Funan : ces pergolas métalliques permettront d’ajouter une couche végétale supplémentaire sous laquelle les visiteurs des communautés multi ethniques et multi confessionnelles de Singapour (« A Singapour, un modèle d’habitation sociale unique au monde ») pourront s’abriter du soleil.
Funan : entre le petit terrain de football en pelouse synthétique situé derrière moi et la ferme urbaine tout au fond, l’allée qui délimite le jardin d’agrément sur le toit du centre commercial. 
Funan : l’aire de jeux, le terrain de sport, le jardin d’agréement et la ferme urbaine sont les terrains d’intervention privilégiés des jeunes écoliers de l’école Trehaus et de sa communauté, « un village moderne où la famille future travaille, apprend et joue ensemble » (mots inscrits sur l’affiche à l’entrée de l’école située au niveau du jardin). Un écosystème favorable à l’éveil et à l’épanouissement des enfants et des familles dont nous devrions systématiquement nous inspirer ?

Éducation par le jardin

On le sait, Singapour est célèbre pour l’efficacité de son système éducatif. Le pays est arrivé premier au classement 2022 dans les trois disciplines suivies par l’enquête PISA trisannuelle de l’OCDE, qui mesure les compétences des élèves de quinze ans en mathématiques, en sciences et en lecture. Intéressé par l’éducation, mon métier actuel, j’ai voulu en savoir plus.

J’ai visité le National Institute of Education (NIE), l’Institut National de l’Éducation, qui forme les enseignants du pays et contribue à la recherche sur les méthodes et pratiques pédagogiques. En préparant ma visite, j’ai découvert ceci : un module de formation continue proposé aux enseignants du primaire et du secondaire qui permet de faciliter l’assimilation des disciplines scientifiques (STEM: Science, Technology, Engineering and Mathematics) par les élèves grâce à la pratique du jardinage et de la cuisine.

« Faire pousser des légumes du semis jusqu’à la récolte et les cuisiner améliore la connaissance des STEM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), les compétences des étudiants et leur motivation d’apprendre ». Synopsis : INS2170 – Edible garden-based STEM education for schools. Copie d’écran, 6 février 2024 matin. 

J’ai été accueilli le 6 février après-midi au NIE Visitors Learning Centre, où je me suis entretenu avec un des responsables des relations internationales de l’institut. Hélas, je n’ai pas pu rencontrer les initiateurs du programme jardinage et cuisine avant mon retour en Europe, car ils étaient eux-aussi en congés pour le nouvel an chinois. J’espère un jour avoir d’autres opportunités de discuter avec eux de l’utilité de la pratique du jardinage et de la cuisine dans l’enseignement. J’aurais en effet quelques points de vue à partager.

J’aimerais aussi étudier de plus près les règles d’urbanisme relatives aux espaces verts à Singapour et leur application. Ce schéma synthétique du plan LUSH, Landscaping for Urban Spaces and High-Rises, donne une idée des avancées de la cité-État en matière d’espaces verts en zones de forte densité urbaine, dont nous pouvons nous inspirer pour nos propres villes. Chaque possibilité d’aménagement présentée dans ce schéma, comme les « communal planter boxes » (zones de plantation communes dans les étages) ou le « rooftop urban farming » (ferme urbaine sur le toit) est déclinée avec des recommandations précises.

Quant aux programmes éducatifs aussi produits par l’URA destinés aux étudiants et enseignants de tous niveaux, ils visent à faciliter la compréhension et susciter l’adhésion des habitants au plan de développement et de conservation de Singapour (« how we plan for a liveable and sustainable Singapour »). Proposés par la Singapore City Gallery que j’ai visitée en personne pendant mon séjour, ils me paraissent également tout à fait intéressants. Nous avons beaucoup à apprendre de l’Asie.

2 thoughts on “Jardins suspendus de Singapour

  1. Super Jean Jacsues…Tu as du te régaler à découvrir tout ça … c’est extraordinaire !!!Merci pour ton partage, c’est très intéressant,de voir tous les possibles et les richesses naturelles que l’on pourrait développer aussi chez nous…Peut être on se verra cet été…😃☀️En attendant Gtos bisous ainsi qu’à Jack 😘💕

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    • Salut Babette,
      Oui, c’était très intéressant ce que j’ai vu à Singapour. Et comme tu dis, on pourrait développer ces richesses chez nous.
      Tu as sans doute vu que j’ai publié l’article en anglais. Je suis allé plus loin en étudiant les politiques environnementales et sociales de la ville-Etat depuis son indépendance en 1965. C’est fou ce qu’une volonté politique, en l’occurrence celle qui a placé le concept de “cité jardin” et ses déclinaisons successives au coeur de la planification urbaine, peut faire la différence. On devrait s’en inspirer.
      J’espère qu’on pourra se voir dans l’été. Gros bisous de nous deux et à bientôt.

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