Ce weekend, mon père et moi avons fait de la confiture de fraises. Ce fut une expérience réconfortante, presque thérapeutique, qui m’a en outre permis de gagner du temps au cours d’une journée chargée.
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Samedi matin, j’ai quitté la maison à 6h30. Je savais que j’avais une longue journée devant moi, avec une ou deux incertitudes sur la tournure que prendraient les événements. J’avais décidé de faire mes achats hebdomadaires au marché dès l’ouverture. Combien de clients attendraient à l’entrée, avec les strictes mesures de sécurité sanitaire en place ? Heureusement, la mairie avait augmenté le seuil de fréquentation maximum à cent personnes, le double de la semaine dernière. Je me suis nettoyé les mains avec le gel hydro-alcoolique fourni, j’ai mis mon masque et je suis entré à 6h40 sans avoir à attendre. La jauge était déjà presque pleine. Nous avons pu profiter d’un lieu animé par ses adeptes et acheter de la nourriture auprès de presque tous les commerçants présents avant la pandémie. Une matinée de marché presque normale.
J’ai trouvé des produits intéressants. Mon fournisseur de pounti, une spécialité auvergnate, qui demande souvent des nouvelles de ma tante, vendait deux kilos de rhubarbe de son jardin. Je les ai achetés. Le marchand de fruits venu du Languedoc, qui lui aussi s’enquiert de sa santé, avait des cerises. J’ai acheté un kilo et demi de guignes, pour expérimenter avec ces petites cerises aigres-douces. Je me suis arrêté au stand de La Cotinière qui m’a vendu un beau dos de cabillaud pour deux. Enfin, mon caddy bien rempli, je me suis dirigé vers mon fournisseur habituel de petits fruits. Les cinq kilos de fraises que j’avais commandés la semaine dernière m’attendaient.

Cinq kilos de Mara des Bois de première qualité. Nous avons mis une barquette de côté pour le dessert et fait la confiture avec le reste des fruits.
J’ai commencé la confiture après mes activités de la matinée, juste avant midi. Mon père était dans l’appartement, alors je lui ai demandé de m’aider. On a parfois l’occasion d’équeuter les haricots verts ensemble, mais sa contribution à la préparation des repas s’arrête à peu près là d’habitude. Il me rejoignit à la cuisine pour préparer les fraises.
Les circonstances étaient particulières. La veille, nous avions rendu visite à ma tante dans sa maison de retraite, en portant un équipement complet de protection fourni par l’EHPAD. Ce fut une expérience traumatisante, car ma tante ne se sentait pas bien ce jour-là. Sa santé se détériore sérieusement. Alors préparer ces fraises avec mon père, c’était un peu faire corps face aux difficultés de la vie.
Ma tante et moi avions l’habitude de faire des confitures. Son activité favorite était la fermeture des pots une fois remplis. Un travail d’équipe avec une cadence bien réglée. Mon père était peu prompt à nous rejoindre pour dénoyauter les abricots et les prunes, égrener les groseilles ou bien trier les framboises, les mures ou les myrtilles. Il comptait sur nous et les autres membres de la famille pour le faire. Mais maintenant que ma tante n’est plus à la maison, alors qu’il a vieilli et qu’il est moins actif, et parce qu’il n’y a personne d’autre autour en ce moment à part moi, les choses ont changé. Il était content de me prêter main forte.
Ce fut un bon moment. Nous avons travaillé ensemble, discuté, fait preuve d’efficacité. Nous avons commencé à midi. Je pensai que cette tâche prendrait environ une demi-heure ; il me répondit qu’il trouvait l’objectif ambitieux. Nous avons finalement terminé à 12h35. Ensuite, je suis allé au jardin pour prendre des photos de nos réalisations en lumière du jour. Nous avions environ 4,3 kg de fraises prêtes pour la confiture, assez pour remplir dix-huit pots de 375g.

Les fruits, fraîchement cueillis, étaient de très belle qualité. L’équeutage et le tri ont laissé peu de déchets.
Ensuite ce fut la préparation du repas de midi, dans les temps grâce à l’aide de mon père pour les fraises. J’allai au jardin ramasser quelques radis pour l’entrée et du persil pour apprêter le cabillaud meunière accompagné de haricots verts et de purée préparés la veille par notre amie Annie. Nos fromages préférés, du Salers et du Saint Nectaire fermier étaient au menu. Les fraises au sucre accompagnés de crème fraîche constituèrent un dessert frais et gourmand. Le tout accompagné de notre vin quotidien du moment, un rouge aux “arômes purs, tannins souples et soyeux” du pays de l’Hérault.

Les fraises mises de côté pour le dessert, accompagnées de notre crème fraîche favorite et d’un biscuit à la cuillère.
Toutes ces activités nous ont soutenus moralement. Nous avons parlé de ma tante. J’allais la revoir dans l’après-midi. Nous espérions qu’elle se sentirait mieux. En fait ce fut le cas. Elle a beaucoup souri. Malheureusement elle entendait mal et je ne lui ai pas raconté l’histoire de la confiture de fraises. Mais cette histoire m’avait suivi et je suis sûr qu’elle a ressenti l’énergie qu’elle avait générée en moi.
Ma tante est une infirmière retraitée qui n’a jamais cessé d’être active et de s’occuper des autres. A safe pair of hands comme disent les britanniques, une personne entre les mains de qui on se sent en confiance. Elle a un sens aigu de la condition humaine, construit au cours d’une carrière menée d’un coeur généreux, et sa perspicacité est restée intacte alors que sa santé se détériore au point d’avoir largement dépassé le point de non-retour.

Ma tante égrène des groseilles congelées lors de la préparation d’une confiture de framboises il y a quatre ans. Photo 27 août 2016, Cantal, France.

Ma tante il y a six ans. J’ai utilisé cette photo pour illustrer mon article La Charlotte de Tati, qui présente une de ses recettes. Je me rends compte maintenant que nous avons utilisé les mêmes biscuits pour notre dessert samedi : les bonnes choses ne se perdent pas. Photo 29 septembre 2014, Cantal, France.
Je considère depuis longtemps que faire de la confiture est une activité agréable de partage en famille et entres amis. Maintenant je sais que cela peut aller au delà. Dans les circonstances particulières que nous vivons dans notre famille depuis quelques semaines, cette activité a eu un effet bénéfique, presque thérapeutique, sur moi et autour de moi. Je pense que ces bénéfices resteront. La mémoire du sourire de ma tante devant un cageot d’abricots à dénoyauter ou une tasse de thé accompagnée d’un gateau sec tartiné de sa confiture préférée, la myrtille, « bonne pour la vue » a-t-elle coutume de dire, seront avec nous pour toujours.