“Des murs vivants”

Je ne publie pas aujourd’hui par hasard. Il y a deux ans jour pour jour, le 10 juin 2022, j’écrivais à mon voisin, une institution publique : « … je souhaite donc discuter plus avant de nos projets et des adaptations possibles… ». J’avais découvert la veille que cette institution avait l’intention de bétonner le mur du fond de mon jardin. Elle n’a jamais exprimé une quelconque intention de réviser son projet. Elle l’a mené à son terme, si bien qu’aujourd’hui le mur est mort.

Cette destruction résulte d’un comportement irrespectueux de ma personne et d’une violation de mes droits que je dénonce avec la plus grande fermeté. Mais elle révèle aussi selon moi une erreur d’appréciation de la valeur patrimoniale du lieu. Cet article traite de ce second point.

« Des murs vivants » est un livre publié en Suisse en 2022 avec le soutien du canton de Genève. Il permet de prendre conscience de la valeur d’un mur comme lieu de vie pour la faune et la flore. Nous mesurerons ici l’intérêt que représentait le mur de mon jardin pour la biodiversité selon la grille d’évaluation qu’il propose.

Le livre est aussi un recueil de conseils pratiques pour entretenir, restaurer ou construire de nouveaux murs en vue de promouvoir la biodiversité. J’espère que l’exemple du mur de mon jardin, combiné à ces conseils, favorisera une prise de conscience et des changements de comportement.

« Des murs vivants » – Le livre

Pour avoir grandi et joué dans le jardin de notre maison de famille au cœur du Massif Central, pour avoir observé la faune et la flore de ses murs, pour avoir poursuivi mes observations adulte comme apprenti jardinier et amateur de vieilles pierres, pour avoir retiré l’excès de lierre du grand mur dans les années 2010, pour avoir étudié les vertus de cet édifice spécialement construit il y a plusieurs centaines d’années pour favoriser les cultures vivrières, je savais que le mur du fond de mon jardin était plein de vie.

Le livre « Des murs vivants » (Burgisser, 2022) a conforté mes convictions : non seulement la conservation et la mise en valeur de ce mur ancien était un souhait personnel qu’il me tenait à cœur de concrétiser, mais ce souhait répondait aussi à un enjeu d’intérêt général de protection du vivant. 

Couverture du livre "Des murs vivants"
« Des murs vivants »,  un recueil pratique à mettre entre toutes les mains. Photo 4 juin 2024, Royaume Uni.
Quatrième de couverture du livre "Des murs vivants"
« Ce livre donne des recettes pour préserver les murs… Comment entretenir un mur pour garantir sa pérennité tout en préservant ses habitants ? … ».

« Destructions, réfections inappropriées et « nettoyages » anéantissent l’écosystème d’un mur », peut-on lire en encadré dans la page d’introduction du livre. Les autorités publiques suisses sont claires sur leurs intentions : « Le canton de Genève a la volonté de promouvoir les aménagements en faveur de la biodiversité. Ce livre dresse le tableau des différents types de murs, leur intérêt pour la faune et la flore et donne des conseils pour leur entretien, réfection, construction, dans le but d’en favoriser la biodiversité. Il s’adresse donc à tous les professionnels qui ont affaire aux murs (maçons, architectes, voiries, etc.) et aux particuliers qui possèdent un mur ou qui désirent en construire un. »

J’ai obtenu la permission de reproduire ici l’illustration qui résume à mon sens le propos du livre et de mon article : le béton ce n’est pas bien pour la biodiversité, alors quand on peut éviter d’en utiliser, on le fait !

Béton "pas bien" - illustration
« Des murs vivants » (Burgisser, 2022, pages 26-27). Illustration H. Hinden d’après Maud Oïhénart, 2018.

Le mur de mon jardin

J’ai découvert à la lecture du livre d’Hélène Burgisser que le grand mur du fond de mon jardin, qui mesure environ cent mètres carrés, était encore plus intéressant pour la biodiversité que je ne le pensais. Fait de pierres apparentes jointes à la chaux, il était au sommet de la hiérarchie, comme on le voit dans la figure ci-dessous.

Pages 22 et 23 du livre "Des murs vivants"
Page 22 : murs en pierres apparentes, jointes à la chaux et murs en pierres sèches arrivent en tête du « Classement approximatif des types de murs selon leur intérêt potentiel pour la biodiversité ».

L’auteur parle d’un « classement approximatif ». D’autres éléments sont à prendre en compte pour mesurer l’intérêt d’un mur. Les principaux sont listés en page 23 ci-dessus.

Le mur de mon jardin se situait en haut du classement non seulement parce qu’il était en pierres apparentes jointes à la chaud, mais aussi parce qu’il obtenait un score élevé sur les points positifs, surtout ceux placés en tête de liste.

Point positif N°1 : « Le mur est exposé à la lumière ou très ensoleillé, sec ou humide ». le mur de mon jardin est exposé sud / sud-est, sans vis-à-vis. De plus, il est adossé à un talus. Les anfractuosités voulues par dessein (barbacanes, bas du mur en pierres sèches) ou apparues avec le vieillissement, associées à la « perméabilité » du mortier (page 24) favorisaient la régulation de sa température et de son humidité. Elles fournissaient des abris frais aux espèces animales et végétales qui l’habitaient, limitant en été les conséquences de chaleurs et de sécheresses excessives. Le mur permettait également à ces espèces de profiter de la lumière et de la chaleur du soleil en toutes saisons. La circulation d’air depuis l’intérieur du mur et surtout le rayonnement nocturne de la chaleur accumulée pendant la journée par les pierres foncées permettaient par exemple de limiter au printemps le gel des arbres fruitiers adossés contre lui, évitant la perte des fleurs et de la récolte. Je le rappelle, le mur était celui d’un jardin vivrier qui datait d’avant la Révolution Française de 1789. Il avait donc été spécialement conçu et sans doute amélioré avec le temps pour cet usage.

Point positif N° 2 : « Le mur est ancien et n’a pas été entièrement refait récemment ». La partie basse du mur, ses trois premiers mètres environ, était donc multi-centenaire et n’avait pas été touchée depuis au moins cinquante ans. Sa base constituée de grosses pierres de basalte était peut-être un reste intact du mur original.

« Les murs en pierres jointoyées de mortier atteignent avec le temps des records de biodiversité grâce à la variété des milieux qu’ils proposent : pierres, mortiers, et plus tard anfractuosités » (page 20). Hélas le mur a été entièrement refait en 2022. Maintenant que « Le mur est en béton », son intérêt pour la biodiversité se mesure… en points négatifs !

Je n’irai pas plus loin dans l’analyse de ce qui rendait le mur de mon jardin intéressant pour la biodiversité et de ce qui fait qu’il ne l’est plus, parce que ça me fait mal au cœur. Par exemple je ne parlerai pas ici de ce que j’ai trouvé dans une des barbacanes anciennes avant qu’elle ne soit détruite. Peut-être une autre fois. Mais pourquoi le mur a-t-il été bétonné ?

Un mur doit être solide, surtout s’il soutient des terres, comme c’est le cas chez moi. Mais le canton de Genève le rappelle : « Les murs doivent certes être entretenus et des réfections ponctuelles sont parfois inévitables, mais cela peut être fait en tenant compte des êtres qui y vivent » (page 3). J’admets aussi tout à fait que « la solidité du béton peut-être requise dans certaines situations » (page 25). C’était l’avis de mon voisin : il fallait bétonner là. Pourtant, le mur du fond de mon jardin était loin des bâtiments construits au-dessus. A cet endroit en particulier, on aurait pu envisager une autre solution de confortement, d’autant plus que j’y aurais volontiers participé financièrement. Le béton est un matériau remarquablement efficace, mais on doit éviter de l’utiliser dans un jardin, qui plus est classé dans le patrimoine local  ! 

La biodiversité dans mon jardin aujourd’hui

Je donne ici deux exemples de l’impact direct du bétonnage sur la biodiversité dans mon jardin. Elle n’a pas disparu, mais elle est maintenant confinée à un espace réduit. J’introduis ces exemples par une page du livre « Des murs vivants », suivie de photos de mon jardin avant et après intervention de mon voisin.

Pages 10 et 11 du livre "Des murs vivants"
Les nombreux lézards qui habitaient le mur de mon jardin bénéficiaient d’un habitat similaire à celui qui apparaît sur cette photo. Les nombreuses anfractuosités du mur, voulues par dessein ou apparues avec son vieillissement, leur procuraient des abris, dont certains cachés derrière la végétation. 
Un lézard sur le mur de mon jardin avant le bétonnage
Photo du mur de mon jardin, 14 juin 2022, Cantal, France.
Minéraux, végétaux et animaux ont été noyés dans le béton en octobre 2022. 
Un lézard sur le mur de mon jardin après le bétonnage
Le mur aujourd’hui. Il y a toujours des lézards dans le jardin, mais leur habitat a été considérablement réduit. Photo 5 avril 2024.
Pages 46 et 47 du livre "Des murs vivants"
Lorsque j’ai vu la liste de « quelques plantes communes des murs », j’ai tout de suite reconnu la ruine de Rome (en haut à gauche). J’ai découvert le nom symbolique de cette plante à cette occasion.
Elle était très répandue sur le grand mur.
Abeille butinant une fleur de ruine de Rome sur le mur de mon jardin avant son bétonnage
La ruine de Rome avait recolonisé le mur après que j’eus enlevé un excès de lierre en 2013. Les arbres fruitiers cultivés en espaliers contre celui-ci avaient été négligés pendant les dernières décennies au point que le lierre avait envahi jusqu’à les faire disparaître. J’avais le projet d’en replanter après avoir hérité du jardin familial. Photo du mur, 12 novembre 2015, Cantal, France.
Ruine de Rome sur un mur adjacent après le bétonnage du grand mur
La ruine de Rome a migré vers les murs adjacents. Elle a maintenant moins de place pour s’épanouir. A gauche, le grand mur aujourd’hui. Photo 11 avril 2024.
Ruine de Rome coincée sur ce qu'il reste de l'ancien mur
Elle pousse où elle peut, acculée par le parement en béton armé dont les vingt centimètres d’épaisseur empiètent sur mon terrain.

Le bétonnage n’a pas seulement détruit l’écosystème du mur. « Cet écosystème s’inscrit dans un environnement plus large auquel il contribue de diverses manières. La disparition d’un mur fait donc des vagues bien au-delà de son petit univers » (page 4). Au-delà de la perte d’habitat et de nourriture pour les espèces végétales et animales qui vivent là ou visitent le lieu, le bétonnage aura sans doute des conséquences sur l’équilibre du jardin.

Comment peut-on encore aujourd’hui, alors qu’on connaît l’empreinte carbone du béton et les niveaux inquiétants de destruction de la biodiversité, laisser concevoir et réaliser de tels projets ? Comment peut-on refuser d’envisager d’autres solutions lorsqu’elles sont possibles et souhaitées par une des parties prenantes ? Je crois qu’il faut sérieusement se poser la question, à la lumière du remarquable travail d’Hélène Burgisser sur les murs vivants.

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Référence

Burgisser, H. (2022), Des murs vivants, Genève : Éditions Rossolis
https://boutique.rossolis.ch/fr/nature/3319-des-murs-vivants.html
(page consultée le 10 juin 2024)

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